mardi 23 août 2016

DOSSIER NEMESIS : ARTICLE 1 : Qu'est ce qu'un bon méchant ?

L’univers de Batman est probablement celui qui nous offre le plus de « vilains » remarquables.  Parmi eux, le Joker, le Pingouin, Double-Face, Mr.Freeze. Ce dossier a pour but d’analyser certains de ces personnages, pour montrer que malgré que cet univers soit souvent limité à Gotham-Arkham, il est en réalité bien plus vaste qu’il n’y paraît. Cependant, j’aimerai d’abord faire un point sur la symbolique d’un « méchant », pour mieux appréhender les dizaines de personnages passionnants que je risque d’aborder plus tard.



LA SYMBOLIQUE DU MÉCHANT :


Un héros est très souvent défini par ceux qu’il combat. Que cela soit dans les univers DC comme Marvel, dans Mario comme dans Sonic. Personne n’échappe à la règle.  Observez l’univers de Spiderman et rendez-vous compte à quel point les méchants occupent une place indispensable dans le monde de l’homme araignée. Que serait Spiderman sans Venom, Le Bouffon Vert ? Que seraient les X-men sans Magnéto ? Superman sans Darkseid, Brainiac ? On peut légitimement se demander quel sont les véritables rôles de ces méchants. Sont-ils là pour rendre le héros simplement encore plus héroïque ? Ou pour apporter plus que cela ? Apporter une réflexion, ce petit quelque chose qui fait avancer l’univers, qui affecte le héros, qui change notre vision des personnages, qui change ce que l’on pensait de l‘univers  lui-même.  Ce petit quelque chose qui dit que rien ne sera plus pareil après un combat ou une story line.

Par exemple, l’excellent Batman : Silence donne un tout autre regard sur l’enfance de Bruce Wayne, et on se rend compte que son passé ne se résume pas au meurtre de ses parents dans Crime Alley, et que lorsque ce passé refait surface, il peut mettre en péril tout l’équilibre de Bruce et de sa famille. Silence est un méchant efficace et passionnant, mais j’en reparlerai plus tard.


Selon moi, le fait que l’on puisse se dire : « Il y a un avant et un après ce combat avec ce méchant » est la définition d’un méchant réussi. Pour en revenir à Batman, chaque altercation avec le Joker affecte Bruce Wayne, change quelque chose, apporte un aspect tragique, un changement de personnalité, comme après la mort de Jason Todd par exemple. Chaque combat est un tournant. Chaque tournant la possibilité d’élargir l’univers et d’apporter quelque chose de nouveau, de plus sombre.  Une dimension, une psychologie plus profonde.

Cependant, un méchant ne doit pas nécessairement être l’exact opposé du héros. C’est au contraire la possession d’un spectre de méchants qui cerne au mieux toute sa psychologie, tout ce qu’il combat et les valeurs pour lesquelles il se bat. (Combattre l’injustice, la pauvreté, protéger et servir entre autres…) Les deux partis s’affrontent mais doivent se compléter pour être efficaces. Il y a  un certain équilibre à respecter si on veut que l’univers de méchants que l’on crée corresponde, mette à la fois en valeur et en difficulté le héros. Et je trouve que ce point est précisément là ou Batman excelle.
Le méchant peut avoir plusieurs dimensions : être craint, respecté, parfois cruel, intelligent, brutal, fou, incroyablement puissant.... Caractéristiques qui doivent l’une après l’autre démontrer que le héros est plus fort, que ce pour quoi il se combat est symbolique et mérite ce combat. Pour Batman, le spectre est complet, voir doublement complet. Voyez plutôt :



  • Le Joker, son Némésis, cruel, psychopathe, fou, mais qui reste incroyablement énigmatique et fascinant. 
  • Le Sphinx, Edward Nigma, qui met au défi son intelligence, sa raison.
  • Bane, qui représente tout l’aspect brutal et violent que le crime peut prendre à Gotham.
  • Carmine Falcone, Le Pingouin, des chefs mafieux, qui englobent une vision plus contemporaine du crime, des trafics à démanteler, des opérations de terreur à contrer…
  • L’épouvantail, dont le symbole est de combattre ses peurs. Ras al Gul, Silence, Mr.Freeze, Le Chapelier Fou, Killer Croc, Gueule d’Argile, Double-Face, et j’en oublie… Sans compter sur toutes les fois ou Batman a affronté des méchants d’autres univers, et tout ce que l’on peut attaquer en dehors de Batman lui-même : sa famille, sa ville, Gordon etc…

Et pourtant, créer un bon méchant n’est pas chose aisée. Plusieurs choses sont à soigner pour ce faire. D’autant plus quand on veut en créer des dizaines pour le même héros : En effet, personne ne veut voir plusieurs fois le même type de méchant, cela serait trop redondant et pas assez original pour être à chaque fois intéressant, même si c’est accompagné d’un bon scénario. Pour qu’un méchant soit convaincant, il faut qu’il soit complexe, qu’il échappe aux caricatures, qu’il ait un passé énigmatique, des origines singulières. Chaque personnage est unique par-là d’où il vient, comment il en est arrivé là. Cependant, et je donne ici mon avis personnel, j’aime lorsqu’un voile d’ignorance est laissé sur ces personnages.  Lorsque l’on ne sait pas tout. Cela nous permet de nous projeter, d’imaginer, de mener notre enquête tout seul et ainsi de prendre part avec encore plus d’intérêt à la trame de l’histoire. L’impact sur le lecteur peut être différent selon les personnes, mais il est nécessaire selon moi qu’un bon méchant inspire quelque chose : des valeurs contraires à l’éthique, à l’entendement, inspire la peur, le malaise chez le lecteur. L’effet d’un méchant ne doit pour moi pas seulement se cantonner au héros mais aussi au lecteur.

Bref, chaque méchant symbolise quelque chose, et même si pour moi le Joker est le méchant le plus réussi tout univers confondus, tous sont utiles, et tous font grandir l’univers. (A part peut être Professor Pyg) De plus, cette immense diversité offre beaucoup de pistes pour tous les personnages issus de Batman : Nighwing, Robin etc…

 LES MECHANTS DE BATMAN :


Je vais donc vous parler de certains méchants du Bat-verse qui illustrent pour moi ô combien cet univers est juste et réussi à la perfection.

Le prince du crime de Gotham : Le Joker.



Personne ne connaît vraiment ses origines. Personne ne sait qui il est. C’est ce qui rend sa folie si passionnante et intrigante. Une histoire revient plus souvent que d’autres cependant : celle d’un comique raté engagé par le gang du Red Hood pour commettre des braquages et des crimes quelconques. Le gang du Red Hood fonctionne de la façon suivante : Un bouc émissaire n’ayant aucun rapport avec le groupe de criminels revêt le casque du Red Hood, pour lui faire porter le chapeau si leurs opérations se passent mal. De cette façon, puisque le fonctionnement du gang est inconnu de ce bouc émissaire, qu’il ne sait rien sur personne, leurs secrets restent bien gardés et ils n’ont plus qu’à trouver un nouveau larbin pour lui faire porter le chapeau à leur place.

Le Joker serait donc issu de ce mécanisme. Une opération à ACE Chemicals, usine qui va revenir très souvent par la suite dans les crimes perpétués par le Joker, « là où tout a commencé », tourne mal lorsque Batman surgit pour l’arrêter. Batman ne peut cependant empêcher la chute du Red Hood dans un bac d’acide à l’issu de leur combat, Batman créant ainsi le Joker, celui qui va devenir son Nemesis, son contraire. Cette histoire est intéressante car elle est symbolique. C’est Batman qui crée le Joker. Pourtant, aucune certitude n’enveloppe cette version, un immense point d’interrogation reste posé sur le clown, et c’est aussi ce qui fait sa force, car rien ne peut être utilisé contre lui puisque l’on ignore tout de lui.


Le Joker est apparu pour la première fois dès le premier numéro de Detective Comics en 1940, crée par Bob Kane, Bill Finger et Jerry Robinson. Cependant, ce personnage est lui-même inspiré d’une œuvre littéraire française du 1çème siècle : L’homme qui rit, de Victor Hugo, qui a été adapté au cinéma en 1928 par l’allemand Paul Leni. Ce n’est pas un hasard si ce titre revient plusieurs fois dans les comics. Une story-line du Joker s’appelle : Batman-The Man who laughs, qui est une réadaptation des premiers comics Batman ou le Joker figurait.

Le personnage de ce roman, nommé Gwynplaine, est un mutilé qui arbore un sourire sur son visage, et qui rappelle étonnement la figure du Joker. Le personnage a en fait offensé le roi James II, qui a ordonné de mutiler le visage du malheureux pour former un rictus qui ne partirait jamais.
Voici une réplique étonnante de Gwynplaine :

« Je représente l'humanité telle que ses maîtres l'ont faite. L'homme est un mutilé. Ce qu'on m'a fait, on l'a fait au genre humain. On lui a déformé le droit, la justice, la vérité, la raison, l'intelligence, comme à moi les yeux, les narines et les oreilles ; comme à moi, on lui a mis au cœur un cloaque de colère et de douleur, et sur la face un masque de contentement. »

Cette réplique pourrait paraître anodine dans ce type de roman, ais pourtant on retrouve selon moi un aspect de la psychologie du Joker. Ce personnage sait qu’il n’est qu’un parmi tant d’autres, qu’il est conscient que son rôle n’est pas déterminant. On retrouve cet aspect chez le Joker, qui a l’air de comprendre qu’il n’est que fictif, et que sa vie n’a pas grande importance puisqu'il y aura toujours quelqu’un comme lui pour réaliser les mêmes atrocités. Je vous encourage à aller regarder ce film, qui est disponible en plusieurs parties sur Youtube.





Voici maintenant une interview de Bob Kane, le co-créateur du clown, expliquant sa création :

'The inspiration for the Joker was a photograph of a German actor, Conrad Veidt, from the movie 'The Man Who Laughs'. The film is derived from a Victor Hugo story about rival Gypsy gangs in France at the turn of the century. Sometimes the gangs would raid each other's camps and slit the mouths of children from ear to ear, so that when the children grew up, their mouths became frozen in a ghastly grin.'



Sa vendetta contre Batman a pris au fil des années une proportion immense.  Son dirigeable, son poison tordant de rire ses victime avant qu’elles ne meurent, ne sont que la partie visible de l’iceberg. Ce qui est incroyable avec le Joker, c’est qu’à chacune de ses apparitions, ses crimes prennent une plus grande ampleur. Il pousse le chevalier noir dans ses retranchements, il risque sa vie simplement pour détruire peu à peu l’âme de Batman. Il le torture physiquement et psychologiquement pour arriver à ses fins, car il est persuadé que Bruce est aussi fou que lui.  Il tire sur Barbara Gordon à bout portant, la rendant tétraplégique et mettant fin à sa carrière de Batgirl, il tue la compagne de Jim Gordon, il assassine des dizaines de policiers, il assassine le second Robin, Jason Todd, après l’avoir torturé et battu à mort, il attaque Gotham etc... Il touche Batman sous tous les aspects.



Côté interprétations, 5 Jokers sont à signaler. Celui de Romero en  1966, celui de Mark Hamill dans la série animée à partir de 1992 et dans les jeux-vidéos, notamment la série Arkham, Jack Nickolson, Heath Ledger et Jared Leto. Tous apportent leur grain de sel personnel dans l’interprétation de ce personnage, peut être l’un des plus difficile à jouer de tous les personnages de comics au cinéma. Personnellement, je reste un inconditionnel du Joker que l’on voit dans les jeux-vidéos et dans la série des Akham. Celui de Mark Hamill. Cette voix, même le doublage français, est tellement Joker. En plus, avec l’invention et l’introduction dans l’animé de 1992 d’Harley Quinn (Et oui, c’est la série animée qui l’a créée et non pas les comics), il est pour moi le meilleur Joker. Regardez cette vidéo qui montre Mark Hamill doubler le Joker, même doubleur, on dirait qu’il est possédé par le personnage.

Je ne vais pas décrire toutes les atrocités que le Joker a pu commettre au fil des années et des histoires dans Batman et autres. J’espère que vous aurez compris que ce personnage a une dimension inégalée parmi tous les méchants de comics confondus. Il est fou, mais nous l’admirons. Il est cruel, mais il nous passionne. Il est effrayant mais on veut le voir à l’action. Je suis prêt à dire que Bob Kane, Bill Finger et Jerry Robinson ont créé un chef d’œuvre de personnage qui rythme encore aujourd’hui le monde de la pop culture.


Dans le prochain article de ce dossier, je parlerai de Silence, qui est méconnu du grand public et qui pourtant mériterait plus d’attention. Je vous présenterai les séries de comics Batman qui sont pour moi les meilleures, et j’introduirai également d’autres éléments, notamment les références bibliques et religieuses que les auteurs ont utilisée pour créer tous ces méchants, notamment Ras Al Gul.


A la prochaine pour un nouveau Road Trip !


1 commentaire:

  1. Je ne croirais qu'en un dieu qui s'entendrait à danser. Et lorsque je vis mon diable, je le trouvai grave, minutieux, profond, solennel ; c'était l'esprit de pesanteur — par lui toutes choses tombent.
    On ne tue pas par la colère, mais on tue par le rire. Allons, tuons l'esprit de pesanteur !

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